Nina a 13 ans et ne connait pas grand chose à la photo.
Elle s’amuse à créer quelques vidéos de diapos et des petites animations que lui proposent les appli de son portable ; elle n’est pas insensible aux belles images.
Nina a 13 ans et souhaite découvrir la photographie !… « enfin ouais, pourquoi pas ! »
C’est l’occasion de nous balader ensemble quelques heures, de lui montrer l’étendue des possibles, d’essayer de lui transmettre ce qui m’anime lorsque j’ai un appareil photo entre les mains.
Au pire, on se sera baladé quelques heures, au mieux elle y prendra goût 🙂
On discute ensemble dans la voiture, savoir ce qu’elle aime photographier avec son portable, plutôt des plantes ? paysages ? animaux ? des gens ? la ville ?
Son portable n’en dira pas beaucoup plus, il est saturé de selfies… Nina a 13 ans.
Elle me dit quand même qu’elle aime prendre des photos de paysages lorsqu’elle part en vacances… donc plutôt nature.
Nous filons alors sur les hauteurs de Gennes, vers un étang entouré de forêt, ça lui va !
Sur la route, en longeant la Loire, nous passons dans un nuage de fumée. Le Soleil tape à travers le feuillage des arbres, la fumée en fait ressortir les rayons et c’est très beau ; ça ferait une magnifique photo, Nina n’a rien vu.
En contrebas de la levée, un grand champ de coquelicots se détache du blé, un carré rouge fluo qui contraste avec le jaune pâle environnant et c’est très beau ; ça ferait une magnifique photo, Nina n’a rien vu.
Un corbeau posé sur le muret s’envole à notre passage et plane au-dessus de la Loire, le pont métallique en arrière-plan, les bâtisses de la ville à contre-jour,… Nina a vu tout ça, oui, mais ne s’est pas dit que ça ferait une magnifique photo.
Au final, Nina voit le monde qui l’entoure comme je le voyais il y a quelques années, de manière très neutre, n’étant ébloui que par ce qui parait vraiment exceptionnel, rare ou grandiose.
Mais l’exceptionnel est partout, tout le temps, il suffit de prendre le temps de le voir ; ça sera là le fil conducteur de notre balade.
Arrivés près de l’étang, je lui montre quelques images que j’ai pu faire lorsque j’apprenais la photo ; le reflet des montgolfières sur la Loire, des filés de voitures dans la nuit, des photos d’orage, des paysages en tout genre,… « Ah ouais, c’est sympa ! » 🙂
Je lui raconte alors l’histoire qu’il y a derrière chacune de ses photos ; m’être mis au bord de l’eau – à 2 doigts de tomber – pour ne plus voir les grandes herbes qui me gênaient, avoir attendu une heure dans le froid que l’ambulance veuille bien passer devant mon objectif, l’orage qui s’est arrêté juste après m’être installé et fait tous les réglages du boîtier ; c’est aussi ça qui est beau en photo.
S’en suivra la balade curieuse, à la recherche « du beau », de ce qui nous attire, de ce qui peut faire une belle photo. Et c’est là, c’est à ce moment précis, quand on est à l’affut de tout, qu’on se rend compte qu’il s’y passe tellement de choses !
Nous jouons avec les ombres, avec la position du Soleil,
Nous jouons à nous déplacer, l’œil dans l’objectif pour parfaire un cadrage, pour que chaque élément de la photo y trouve sa place,
Nous jouons avec le zoom, le flou, le « plus clair ou plus foncé », sans le jargon nauséabond des photographes, sans trop parler technique.
La technique n’est pas si importante, la technique ne fait pas la belle photo.
On peut prendre en photo quelque chose qu’on trouve joli, sans trop réfléchir, ça fait un beau souvenir.
Mais on peut aussi prendre le temps de tourner autour de son sujet, trouver l’endroit (et l’heure) où la lumière est sublime, là où l’arrière-plan devient intéressant, attendre qu’un oiseau passe avant de déclencher,… Toutes ces petites choses qui rendent la photo plus intéressante, qui l’affinent, qui nous en rend fier ! La technique, les réglages, la qualité de l’appareil ou de l’objectif n’y peuvent rien.
Nous retenons alors que tout peut être une éventuelle belle photo, que tout est beau suivant la façon dont on le regarde.
Il suffit de prêter attention à tout ce qui nous entoure, de lever la tête, de s’accroupir, de s’allonger, de changer de point de vue et de prendre son temps, toujours.
On peut se sentir bête s’il y a du monde autour de nous, surtout quand on a 13 ans… on peut aussi s’en foutre complètement, et c’est tellement gratifiant de s’en foutre !
On peut aussi en ressortir les jambes griffées par les ronces, les pieds mouillés, les genoux salis ; on en ressort surtout avec la satisfaction d’avoir là une très belle photo, et d’avoir tout fait pour l’avoir.
Ça t’a plu ?
« Ouais, c’était trop bien ! »
Je crois que la graine a pris.